Le Sommet des maires contre l’antisémitisme s’est tenu à Paris les 19 et 20 novembre. Quelle était votre ambition ?
Shannon Seban : C’était un sommet d’urgence. Depuis le 7 octobre, la France et l’Europe font face à une résurgence très forte de l’antisémitisme, qu’il s’agisse d’actes, de discours ou de formes nouvelles de boycott. Il fallait réunir les maires du monde entier, en première ligne auprès des habitants. L’enjeu était de partager des solutions locales, car c’est sur le terrain que se jouent les premières réponses et que se détectent les signaux faibles.
Comment avez-vous choisi les intervenants ?
S.S. : Nous avons une ligne rouge : ni extrême droite ni extrême gauche. Ces deux pôles attisent les tensions et instrumentalisent les communautés. Tous les élus modérés, prêts à agir, étaient en revanche les bienvenus. L’objectif n’est pas de rechercher une unanimité artifi cielle mais de travailler ensemble sans renier l’histoire ni banaliser les formes de xénophobie ou autres haines.
Quel a été le moment le plus fort des deux jours ?
S.S. : La remise d’un prix à Lassana Bathily, le héros de l’HyperCacher. Un geste pour rappeler que la lutte contre l’antisémitisme n’a ni couleur, ni origine, ni religion. Nous avons aussi donné la parole à des artistes et des sportifs boycottés parce qu’ils sont juifs. Leurs témoignages montrent que cette haine n’est pas une abstraction : elle brise des parcours et fragilise des vies.
Beaucoup de constats ont été dressés. Comment passer maintenant aux décisions ?
S.S. : Les maires repartent avec des outils concrets, des exemples et des contacts. Malmö, en Suède, a instauré des référents dans les écoles ; Sarcelles a adopté un plan local complet. Ce sont des modèles duplicables. Je crois profondément que le local peut entraîner le national, voire le devancer : les communes ont une capacité d’action plus rapide que les gouvernements.
En France, la politique nationale n’a-t-elle pas brouillé la lutte contre l’antisémitisme en flirtant parfois avec l’antisionisme ?
S.S. : Soyons précis, l’antisionisme, c’est nier le droit d’Israël à exister. Ce n’est pas une critique de décisions politiques. En revanche, c’est vrai que certains partis jouent la carte du clientélisme, notamment en Seine-Saint-Denis, où certains élus instrumentalisent le conflit israélo-palestinien pour flatter une partie de leur électorat. C’est dangereux et irresponsable.
Les réseaux sociaux, notamment TikTok, ont été très pointés du doigt. Comment agir ?
S.S. : La haine en ligne est devenue l’un des principaux vecteurs d’antisémitisme. Elle est rapide, virale et souvent anonyme. Le Digital Service Act impose aux plateformes de retirer les contenus haineux, mais les sanctions doivent être renforcées. Aujourd’hui, même signalés, beaucoup de contenus restent en ligne. 6ans sanctions financiqres réelles, les plateformes ne changeront pas leurs pratiques.
Pourquoi jugez-vous la coordination européenne essentielle ?
S.S. : Parce que la haine circule d’un pays à l’autre et prospère sur les mêmes ressorts. Or, 4 États membres - la Pologne, la Lituanie, Malte et la Belgique - n’ont toujours pas adopté de plan national de lutte contre l’antisémitisme. Cette absence fragilise l’ensemble de la stratégie européenne. Nous devons harmoniser nos réponses, partager les bonnes pratiques et encourager les villes à exercer un leadership exemplaire. Les solutions naissent localement, mais doivent s’ancrer dans une dynamique européenne pour être durables. ■
Propos recueillis par Gérard Clech