Vingt ans après Le Vieux Juif blonde, vous revenez avec un texte tout aussi incisif. Qu’est-ce qui a changé dans votre manière d’aborder les questions identitaires ?
Amanda Sthers : Ce qui a changé c’est la réalité du monde. Le Vieux Juif blonde arrivait dans un climat relativement apaisé où on voyait simplement apparaître les pousses, depuis une forêt sombre nous entoure. De plus, l’identité qu’on voulait gommer quand j’étais jeune fille pour que chacun soit identique à chacun est désormais devenue l’étendard de chacun avec la haine de l’autre. Mais j’aborde toujours ces questions de la même façon, avec un humour salvateur, celle des faits et des chiffres. Le surnaturel n’a de sens qu’ancré dans une réalité parfaite.
C s’ouvre sur une fracture intime provoquée par le 7 octobre. Pourquoi avoir choisi cet événement comme déclencheur narratif ? Êtes- vous allée en Israël depuis le 7 octobre et quelle est votre relation à ce pays ?
AS : Le 7 octobre a été une fracture pour les Juifs du monde entier. Non pas seulement par la violence que ça a représenté en soi mais parce que ce drame qui aurait dû nous valoir de la compassion et des mains tendues a ouvert les vannes d’une haine incompréhensible. Le lendemain, avant même qu’il n’y ait de riposte israélienne, je recevais des messages d’insultes sur Twitter me disant que je serai la prochaine. Et ça m’était adressé en tant que juive puisque je ne suis pas israélienne. Je ne suis pas retournée en Israël depuis que j’y ai tourné Holy Lands. C’est un pays que j’aime par sa diversité culturelle et ce que celle-ci peut créer de magique. Je suis attachée à ce pays parce qu’il représente notre survie et en ce moment il l’est. Je ne pense pas que la haine envers Israël soit rationnelle, on le voit bien, sinon elle ne se déchaînerait pas sur les Juifs du monde entier. Si Israël n’était pas un État fort en ce moment, je crois bien que les Juifs seraient en grand danger dans de nombreux pays.
Rébecca, votre héroïne, voit son identité juive ressurgir de manière obsessionnelle, pensezvous qu’elle est un reflet de ce que pensent les Juifs de France aujourd’hui ?
AS Les événements récents ont rappelé à des gens qu’ils étaient juifs. D’autres ont rejeté leur identité par peur ou parce qu’ils désapprouvent la politique israélienne et confondent tout, ou parce que c’est une posture intellectuelle qui semble plus à la mode aujourd’hui. Rébecca est une juive de gauche, une précision importante parce qu’elle est soudain rejetée par son groupe de pensée, comme les femmes juives n’ont soudain plus pu défi ler avec les féministes. Elle ne sait plus où aller, elle se sent trahie par ses propres convictions. Mon personnage est une femme, française, intellectuelle, de gauche et une juive athée, mais au lendemain du 7 octobre, elle est simplement juive aux yeux de tous.
Le champignon qui envahit l’appartement de Rébecca est à la fois grotesque et inquiétant, il est là tapi dans tout le roman. C’est une figure kafkaïenne par excellence, comment avez-vous eu cette idée incroyable ?
AS : Quand la figure du champignon est arrivée, j’ai compris que j’avais trouvé l’angle de mon roman. C’est en effet très puissant, et sa toxicité pénètre les pages et ne vous lâche plus. Les droits du roman viennent d'être pris pour en faire un film et j'ai hâte de voir cette image prendre une force énorme sur grand écran.
Abordons Gilles, le mari de Rébecca qui, bascule dans une passion adultère et une fascination pour des discours politiques extrêmes, il va au bout de sa folie … et le tournant du roman vers le genre du thriller est inouï et pas très optimiste … Pourquoi ?
AS : Vous êtes optimiste, vous ? Rien dans l’Histoire ne nous autorise à l'être. Ça ne finira peut-être pas mal partout ni pour tout le monde, mais il va falloir que cette haine se loge quelque part.
La narration sur les champignons est très élaborée … et vous vous êtes bien renseignée, aimez-vous les champignons? Après votre roman, pas certain qu’on ait envie d’y goûter...
AS C’est une histoire d’amour-haine! Figurez-vous que l’intoxication que je prête au personnage de Rébecca enfant m’est vraiment arrivée. Avec mon père, nous avions cueilli des champignons et la pharmacienne d’Eygalières les avait validés, j’ai déliré pendant quinze jours ! Et peut-être que le délire ne s’est pas vraiment arrêté.
Qu’attendez-vous de la sortie du livre ? Redoutez-vous les réactions ?
AS : Il me semblait de mon devoir de m’exprimer sur cette société binaire, délitée et polarisée. Je n’ai pas la prétention de penser que je vais changer les choses mais je vais peut-être lancer une bouée de sauvetage à certains, aider à faire rire pour recréer du dialogue. J’ai déjà des réactions et je suis surprise par leur positivité. Je pense qu’une majorité silencieuse a besoin de mots différents. C’est fou parce qu’aujourd’hui pour écrire un livre comme celui-ci, il faut du courage, on se met en danger. Ce qui ne fait que renforcer ma conviction de sa nécessité. ■
Propos recueillis par Hélène Schoumann