Vous avez infiltré les milieux étudiants, de l’ultra-gauche, tous violemment mobilisés autour de la cause palestinienne la plus radicale. Avez-vous rencontré des militants innocents, non-antisémites, convaincus de la justesse de leur militantisme ?
Nora Bussigny : Oui, j’en ai aussi rencontré et d’ailleurs beaucoup de ces militants ne pensent pas être antisémites. Ces militants-là sont absolument persuadés d’agir contre les sionistes mais sans savoir ce qu’est le sionisme. Ils répètent comme des brebis : « Ce sont ceux qui soutiennent Netanyahou ». Ils ne se rendent pas comptent qu’ils essentialisent tous les Juifs et à quel point ce qu’ils font est antisémite et discriminant. Il y a une grosse partie de méconnaissance et de bêtise, sincère et donc une forme de naïveté, à dénoncer une forme de « génocide ». Mais ils sont très rapidement récupérés, puis forcés de s’exprimer uniquement sur cette question-là alors qu’ils auraient pu également se mobiliser sur d’autres causes.
Dans cette enquête, vous disséquez de façon très précise la manière dont les antisionistes ont su utiliser – mieux que tous - la puissance des réseaux sociaux à des fins révolutionnaires. Comment expliquer leur longueur d’avance en matière de communication ?
N.B. : 3arce que ces influenceurs du chaos, comme je les appelle,ont d’emblée capté la jeunesse. On l’a vu dès le 7 octobre où dès la commission du pogrom, Students for Justice in Palestine – un groupe militant présent à l’université américaine Columbia mais aussi en France, et notamment à Sciences Po - a directement produit une « boîte à outils », à destination de tous les étudiants, en vue d’expliquer pourquoi l’action du Hamas était légitime, pourquoi il fallait la soutenir. Ils ont immédiatement compris que le nerf de la guerre était la jeunesse et les réseaux sociaux. C’est la raison pour laquelle mon livre s’appelle « Les nouveaux antisémites ». Je ne viens pas présenter un antisémitisme qui est nouveau. La nouveauté, ce sont les vecteurs de cet antisémitisme. Des vecteurs qui offrent un mégaphone à des antisémites radicalisés et qui viennent radicaliser davantage encore une jeunesse poreuse à ces discours-là. Ces mégaphones, ce sont TikTok, Instagram, X, Snapchat…
Un des professeurs de Columbia que vous avez rencontré vous fait remarquer qu’il n’est jamais question de paix dans le discours de ces militants. Comment expliquez-vous que ce qui semblait être le but ultime ait été effacé ?
N.B. : Ce but a en effet disparu et on l’a vu tout récemment encore avec la reconnaissance d’un État palestinien, qui a mis très en colère ces militants. J’ai passé beaucoup de temps avec Urgence Palestine et Samidoun, cette organisation reconnue terroriste par l’UE. Sur leur boucle Telegram, à chaque fois qu’ils parlent de l’Autorité palestinienne, ils l’appellent la traîtresse. Ces groupes mettent en avant le Hamas et/ou le FPLP, mouvements terroristes qui n’appellent jamais à la paix. De même qu’ils appellent à soutenir la résistance armée. Il en va de même, depuis le 7 octobre, des appels à faire une Intifada de Paris/Gaza. Cela prouve, s’il le fallait, que cette guerre ne concerne pas que les Juifs mais nous tous. Il y a une volonté de s’en prendre à tout ce que font les
institutions démocratiques.
Vous consacrez tout un chapitre à Rima Hassan. Comment expliquez-vous la fascination qu’elle suscite ?
N.B. : Figure politique, Rima Hassan est surtout devenue un objet politique parce qu’elle incarne et cristallise toute cette ultra-gauche en attente de prises de position radicales. Cette génération Z qui ne veut plus de nuances, cherche du radical, la phrase choc, du discours rude et très court. Ce n’est pas pour rien que les deux figures les plus suivies et les plus aimées de cette génération sont Jordan Bardella et Rima Hassan. Dans le cas de cette dernière, elle a été repérée le 10 octobre 2023, par La France insoumise, soit 3 jours après le pogrom. Auparavant, elle n’était pas tant suivie que cela. Elle devient cet objet politique quand elle oppose une réaction violente et inMuste j des fi gures de gauche qui dénoncent des attaques antijuives. Elle s’en prend ainsi beaucoup plus à la gauche socialiste (elle appelle le PS parti sioniste ou la gauche coloniale) qu’à l’extrême droite. Sa priorité de lutte, c’est la gauche. Elle a bien compris que plus elle est radicale et plus elle n’a de cesse de briser cette gauche et plus elle parviendra à briller parmi cette jeunesse qui sera primo-votante en 2026 et 2027… ■
Propos recueillis par Laetitia Enriquez
**Les deux publiés chez Albin Michel