Il y a comme une déconnexion entre la classe politique et les citoyens, entre ceux qui portent le poids de la guerre et ceux qui font comme si rien n’avait changé depuis un an et demi. Une incompréhension exaspérée qui mine le moral des Israéliens.
S'il fallait résumer la vie des Israéliens en deux dates, on pourrait bloquer le curseur entre les 6 et 7 octobre. Le 7 octobre comme le pire jour de l’histoire du pays. Le 6 octobre comme le sommet de la division, la dernière ligne rouge avant l’abysse.
Aujourd’hui, les Israéliens se demandent quelle distance les sépare encore du retour au 6 octobre et comment cette régression a même été possible. Ils ne descendent plus dans la rue par centaines de milliers, comme ils l’avaient fait jusqu’à la veille de la guerre. Parce qu’ils sont fatigués. Mais ils sont 70% à ne plus faire confiance à leur gouvernement, selon le sondage publié le 28 mars par la chavne N12. Et tout arrive en même temps, donnant une impression de confusion. La révocation du directeur du Shin Bet, Ronen Bar, suivie de l’annonce de son successeur, Eli Sharvit, aussi vite annulée quand la coalition découvre qu’il a manifesté en 2023 contre la réforme judiciaire. L’ouverture de la procédure de destitution de la conseillère juridique du gouvernement en plein cœur du vote de la nouvelle loi sur la nomination des juges.
Ensuite, l’affaire calamiteuse du Qatargate, qui oblige le Premier ministre à témoigner sur les activités de deux de ses conseillers, placés en garde à vue, pour des liens illégaux supposés avec le Qatar. Et enfin, Benyamin Netanyahou qui déroule la rhétorique du « Deep State » pour dénoncer une chasse aux sorcières contre son gouvernement. Les Israéliens sont usés, excédés.
En tout cas une partie d’entre eux. Et sans surprise, ce sont ceux qui composent les forces vives du pays, la classe moyenne sioniste religieuse comme laïque, ceux aussi qui portent l’essentiel de l’effort de guerre. Selon une enquête réalisée par le Service de l’Emploi, 75% des réservistes ont vu une dégradation de leur situation économique ou professionnelle. 41% d’entre eux ont même été licenciés ou ont dû quitter leur emploi, malgré les garanties légales dont ils sont censés bénéficier. Et ces effets de longs mois de mobilisation ont également un impact sur les conjoints qui ont dû réduire leur activité pour prendre le relais au travail ou à la maison, sans compter la désorganisation de la cellule familiale et son poids psychologique sur le couple et sur les enfants. Et tandis que ces réservistes et leurs familles luttent pour rester à flot, 12% de la population ne participent pas à l’effort national. Pis, la loi de finances votée la semaine dernière fait la part belle au secteur ultraorthodoxe, qui peut attendre dans la sérénité la réforme du service militaire qui devrait mettre sa jeunesse à l’abri de la conscription. Moyennant quoi, Benyamin Netanyahou a sécurisé sa coalition pour les mois qui viennent et n’a plus à craindre de dissolution anticipée du Parlement. Dans ce climat d’exaspération, rien d’étonnant à ce que les objectifs de la guerre définis par le gouvernement paraissent confus ou contradictoires.
Le témoignage des otages rescapés durant la première phase de la trêve a confronté les Israéliens à une réalité qu’ils ne pouvaient imaginer, celle de l’horreur absolue du supplice enduré par les captifs à Gaza. Comment dans ces conditions, ne pas mettre le retour de tous les otages en priorité absolue ? Et le public peine à comprendre la stratégie du Premier ministre et sa pression militaire sur le Hamas.
Que se passera-t-il si cette montée en puissance graduelle ne donne pas les résultats escomptés et qu’il faille passer à l’offensive terrestre massive contre l’organisation terroriste ? D’abord pour la vie des otages. Ensuite pour les objectifs. Pourquoi une seconde opération terrestre réussirait à détruire définitivement le +amas, alors que 14 mois de campagne n’avaient
pas réussi à le faire ? Le 7 octobre, les réservistes avaient été 130% à répondre à la mobilisation. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 60 à 80% à se présenter à leur troisième et parfois quatrième période de rappel. ■