Pouvez-vous nous présenter votre spectacle ?
Sophia Aram : Mon cinquième spectacle, que je joue en ce moment, s'appelle Le monde d'après*. Comme tous mes spectacles, on l’a écrit avec mon mari. Nous avons commencé à y réfléchir au moment de la sortie du confinement à la suite du Covid. Ce moment où il y avait une espèce de tribune publiée dans Le Monde intitulée Le monde d'après, dans laquelle on trouvait tout un tas d’incantations, de rêves, de projets o tout le monde rêvait d’un monde merveilleux dans lequel on allait se réveiller en sortant de ce confinement. C’était touchant de naïveté, je n’y ai pas cru un seul instant, mais j'ai trouvé cela émouvant que les gens y croient.
Le fait est : on est sortis de ce confinement, le monde n’est pas meilleur et aujourd'hui, c’est même de pire en pire.
Quels sont les thèmes essentiels que vous abordez ?
S.A. : En priorité, c’est la montée de tous les délires populistes. Le 7 octobre 2024, votre billet d'humeur sur France Inter était dédié au 7 octobre 2023. Racontez-nous.
S.A. : Le 7 octobre 2023, ça a été un peu une torpeur, on a été remués en se disant que les barbares étaient
revenus. J’ai vécu le 13 novembre, le 7 janvier avec Charlie, le 9 janvier l Hyper Cacher. On avait vécu Ozar Hatorah, mais la méthode, la violence, l’horreur, les atrocités
qui ont été commises le 7 octobre 2023 sur des femmes, des enfants, des vieillards, des hommes, plus les enlèvements, je me disais que c’était sans fi n, et j’ai conscience que j’ai un peu basculé aussi. 2n n en fi nit plus de basculer, en fait, ça m’a ébranlée. Je ne m’explique pas la montée de l’antisémitisme, de la même manière qu après chaque attaque qui concerne des Juifs en France, on va protéger les lieux de culte juif. Je m’étais dit, quand on est enfant et qu'on lit Anne Frank, on ne peut pas devenir antisémite. Enfant, j'ai vu Holocauste, la série
qui m’a retournée. Et au lycée, après la profanation du cimetière de Carpentras, nos profs nous avaient projeté Nuit et Brouillard. Donc je me dis, nous on nous a élevés avec ce « plus jamais ça », et j’y ai cru naïvement. En réalité, depuis Ozar Hatorah, on savait qu'on avait perdu, qu'il y a des gens qui se sont réjouis de ce qui s’était passé, et ce jour-là l'émotion n'a pas été celle qui aurait d’être la nôtre.
D'après vous, pourquoi les insoumis apprécient-ils autant Dominique de Villepin, pourtant de droite, notamment sur ses positions liées au conflit israélo-palestinien ?
S.A. : Je n’en sais rien, je ne comprends plus. C’est-à-dire que j’ai le souvenir de Villepin et du CPE déclenchant des manifestations monstres en )rance, partout, dans les universités. Et j ai entendu au micro de )rance Inter Lucie Castet, l’ancienne future Première ministre du Nouveau Front populaire, dire qu'elle avait appelé Dominique de Villepin pour lui proposer le ministère des Affaires étrangères. Donc on a Lucie Castet qui pactise avec de Villepin, on a des queers qui dansent pour le Hamas, on a des soraliens qui rendent hommage à Jean-Luc Mélenchon. 2n est sur un truc où, encore une fois, tout ce qui est contre les Juifs est fédérateur.
Les Juifs fédèrent énormément contre eux, mais ils fédèrent beaucoup.
Vous avez fait vos études au lycée à Trappes et avez ensuite obtenu une maîtrise d'arabe et une autre
d'anthropologie. On a envie de vous demander est-ce que c'était une vocation le métier d’humoriste ?
S.A. : J’ai fait du théâtre dès le lycée. Ensuite, j’ai fait du théâtre classique, je suis entrée dans une compagnie
qui s’appelait « Théâtre du )il » qui était une émanation du théâtre du Campagnol, j’ai joué des pièces classiques. Je donnais des cours de théâtre, ça me permettait d’en vivre aussi. Mais ce n'était pas ma vocation, je voulais être journaliste.
J’aimais les deux. Et à un moment donné, je me suis dit, il faut quand même que j’essaye la scène.
En 2024, vous avez reçu un Molière…
S.A. : Je ne m’y attendais vraiment pas. Quand il l’annonce, je venais de faire mon discours sur le 7 octobre pour remettre le prix de la comédie. Je craignais tellement les réactions de la salle, que je m’étais coincée le dos. J’étais pétrifiée à l’idée de ce discours qui me tenait vraiment à cœur. mon grand étonnement, les réactions ont été fort sympathiques, ce qui fait que quand je me suis assise après ce discours, j’avais presque oublié. Et au moment où on m’appelle, je suis en train de parler avec mon mari, je ne remarque pas que l’on en est déjà à la remise du prix du « Seul en scène » et là, j’entends mon nom et je bondis. J ai mis du temps à réaliser ce qui se passait.
C'est à la remise du prix de la comédie que vous avez dit : « Comment exiger d'Israël un cessez-le-feu sans exiger la libération des otages, comment réclamer le départ de Netanyahou sans réclamer celui du Hamas ? » Qu'est-ce qui vous a donné l'envie, ce soir-là, d’en parler ?
S.A. : Ce qui me tenait à cœur, c'est que je me retrouvais face à des gens dont je voyais les noms signant des tribunes, qui sont chouettes généralement. Mais je trouvais qu’ils avaient été très timides pour réclamer la libération des otages et s'indigner même du 7 octobre. Ça avait été vraiment le service minimum. De même que je ne les voyais pas dans des tribunes ou des rassemblements appelant à la libération des otages. En revanche, je les voyais réclamer un cessez-le-feu. Et évidemment qu'on voulait un cessez-le-feu, qu'on est tous
effondrés par la situation à Gaza. Quand on voit des enfants morts, évidemment que c'est insoutenable. Mais pourquoi est-ce qu'on n'arrive pas à le dire quand il s'agit d'Israéliens ? Donc c'était ça qui me paraissait important de dire à ce moment-là.
Au gala de Yad Vashem, vous avez chanté avec Patrick Bruel. Comment est venue cette initiative ?
S.A. : Je n'ai jamais pensé et osé demander à Patrick Bruel de chanter avec lui. Il me l'a proposé.
Je lui ai dit qu'il était fou. On a répété ensemble une demi-journée. J'avais l'impression d'avoir 15 ans et d'être une petite midinette devant Patriiiiick.
Ce soir-là, l'humoriste Philippe Caverivière vous a rendu un bel hommage en saluant votre courage. Il faisait référence, entre autres, à vos prises de position contre l'antisémitisme. Vous avez le sentiment d'être physiquement en danger ?
S.A. : Je ne me pose pas cette question, et puis je trouve ça fou : vous vous rendez compte de la question que vous venez de me poser ? Vous venez de me dire que ce sont mes positions contre l'antisémitisme qui sont saluées.
Pour moi, c'est la base de tout. Je veux dire, même mon engagement politique, quand j'étais jeune, c'était contre le racisme et l'antisémitisme.
Vous êtes aussi présente lors des rassemblements chaque vendredi au Trocadéro organisés par la Wizo et le Crif, réclamant la libération des otages. Pourquoi ?
S.A. : Leur cause, elle est au-delà de noble, et c'est notre cause à tous en tant qu'humains. On devrait tous y être le vendredi aux mères de l'Espoir.
Vous retrouvez-vous dans ce résumé sur votre positionnement : Sophia Aram est de culture musulmane, mais se revendique complètement athée et se décrit comme avant tout française et engagée à gauche comme social-démocrate.
S.A. : Oui, c'est moi. Ma culture, c'est le pays d'origine de mes parents, le Maroc, ma langue maternelle aussi. Je suis bilingue, je parle marocain, je peux passer d'une langue à l'autre sans aucun problème. Et j'aime ça ! J'aime les chansons marocaines, la bouffe marocaine, tout ça fait partie de moi. Mais je suis née en France, j'ai grandi en France, je suis attachée à la France, à la République, à ce qu'elle m'a offert aussi. Il y a plein de choses qui font qu'aujourd'hui, oui, je suis française avant tout.
Pourtant, ça n'a pas empêché que vous receviez des insultes antisémites...
S.A. : Les insultes antisémites, je les ai reçues depuis une de mes premières chroniques sur France Inter. J'étais avec Patrick Cohen et l'invité Laurent Fabius. Un des premiers commentaires sous la vidéo sur Dailymotion était « Avec qui elle a couché pour en arriver là ? », et le deuxième commentaire, « Aram Fabius Cohen, la juiverie a pris le pouvoir ». Ils sont créatifs dans la connerie.
Jamais vous ne vous écrasez ?
S.A. : Je rends les coups ! Il va falloir être solide sur ce en quoi on croit et ce qu'on essaie de défendre parce que tout ça est très menacé aujourd'hui. Au rassemblement dans le Marais, à la suite de l’assassinat des Bibas, une gentille dame m’a remerciée de tout ce que je faisais, disait-elle, « pour nous ». Il va falloir qu'on arrête ce nous. C'est nous tous, on est tous concernés ! ■
Propos recueillis par Robert Sender