France

Roger Karoutchi : « Emmanuel Macron surestime parfois l’impact de sa parole sur la scène internationale »

Habitué à dire ce qu’il pense, le sénateur des Hauts-de-Seine vient d’adresser au président Macron une lettre ouverte, cosignée par 119 sénateurs, pour lui rappeler qu’une reconnaissance d’un État palestinien en juin prochain serait plus que prématurée.

4 minutes
6 mai 2025

ParLaetitia Enriquez

Roger Karoutchi : « Emmanuel Macron surestime parfois l’impact de sa parole sur la scène internationale »

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Vous avez récemment publié une lettre ouverte au président de la République, cosignée par 119 sénateurs, pour vous opposer à la reconnaissance d’un État palestinien qu’il souhaiterait proclamer au mois de juin. Pourquoi cette initiative ?

Roger Karoutchi : Cette lettre a d’abord été cosignée par 103 sénateurs issus de la droite et du centre. Depuis sa publication dans Le Figaro, 16 autres nous ont rejoints, malgré les vacances parlementaires. Parmi les signataires figurent notamment les présidents des groupes Les Républicains et Union centriste, ainsi que le président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat. J’ai volontairement choisi de ne pas solliciter les groupes de gauche, parce que je connais leurs équilibres internes et je ne voulais pas les mettre en difficulté. Je sais toutefois que certains de leurs membres auraient signé sans hésiter. Nous avons rédigé cette lettre car nous estimons que les conditions ne sont absolument pas réunies pour que la France reconnaisse aujourd’hui un État palestinien. Même le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, avec qui j’ai eu un long échange en commission, l’a admis. Il a reconnu que la question pouvait être débattue, mais qu’en l’état, une telle reconnaissance serait prématurée.

Quelles sont ces conditions qui, selon vous, ne sont pas réunies ?

R.K. : Elles sont nombreuses et objectives. Le 7 octobre a été un tournant : les attaques terroristes du Hamas ont révélé la brutalité de cette organisation. Depuis, des otages sont toujours retenus à Gaza. Le conflit avec le Hamas perdure, les tensions avec le Hezbollah s’intensifient au nord, et l’Iran continue de menacer Israël et la stabilité de la région. On ne peut pas faire abstraction de ces éléments. Si, d’ici juin, tous les otages étaient libérés, le Hamas définitivement écarté de Gaza, un accord de paix signé avec de nouveaux pays arabes, et le Hezbollah retiré du Sud-Liban, alors oui, une reconnaissance pourrait être envisagée. Mais soyons lucides : qui peut croire à un tel scénario en si peu de temps ? Et puis, qui gouvernerait cet État ? Certainement pas le Hamas. Et l’Autorité palestinienne, affaiblie, divisée, dont Mahmoud Abbas est à la tête depuis près de vingt ans, n’offre aucune garantie sérieuse de stabilité ni de légitimité.

Certains disent que la solution à deux États est devenue impossible. Partagez-vous cet avis ?

R.K. : Les signataires de la lettre sont partagés. Certains considèrent que cette solution est aujourd’hui irréaliste, d’autres y restent attachés sur le long terme. Mais tous s’accordent sur une chose : dans le contexte actuel, une reconnaissance unilatérale serait contre-productive. Ce n’est pas le moment. Ce serait donner un signal dangereux, comme une prime à la violence.

Que pensez-vous de la stratégie du président Macron ?

R.K. : Je crois que le président de la République surestime parfois l’impact de sa parole sur la scène internationale. Il pense, comme sur le dossier algérien, qu’un simple échange avec un dirigeant peut inÁ uer sur le cours des événements. Mais ce n’est pas ainsi que fonctionnent les relations internationales. Le président peut s’entretenir avec le roi de Jordanie ou le président Tebboune, mais cela ne change pas les rapports de force ou la réalité sur le terrain. Les otages sont toujours là, le Hamas est toujours à Gaza, l’Iran continue ses menaces.

Pourquoi, selon vous, Emmanuel Macron ne soutient-il pas plus fermement Israël face au terrorisme ?

R.K. : C’est une vraie interrogation. Juste après les attaques du 7 octobre, il avait été l’un des premiers à évoquer la création d’une coalition internationale contre le Hamas, à l’image de celle mise en place contre Daech. Quelques mois plus tard, il réclame un cessez-le-feu, puis envisage de reconnaître un État palestinien… Ce revirement est incompréhensible. Le mythe d’une « politique arabe » de la France n’a plus de réalité aujourd’hui. Notre pays a perdu beaucoup de son inÁ uence régionale. Je pense que le président rêve encore d’un monde qui n’existe plus, d’une France capable à elle seule de façonner la paix. Il se voit en médiateur global, mais oublie que la France ne peut agir seule. Sans nos alliés, rien n’est possible.

Certains pensent que cette reconnaissance viserait à satisfaire une partie de l’opinion publique française. Qu’en pensez-vous ?

R.K. : On pourrait le croire, mais cela ne tient pas totalement. Emmanuel Macron n’a pas un fort électorat musulman et il ne pourra pas se représenter en 2027. Ce n’est donc pas une manœuvre électorale évidente. C’est peut-être davantage une posture idéologique, une volonté de peser dans le débat international, mais sans réelle efficacité. 5egardons ce qu’a produit la reconnaissance par l’Espagne, où l’extrême gauche est au gouvernement : cela a-t-il amélioré la situation sur le terrain ? Non. Tant que les conditions ne sont pas réunies, une reconnaissance de l’État palestinien ne fera qu’aggraver les tensions, sans rien résoudre. ■

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